L’esprit de vérité

Jean nous parle une fois de plus de son Paraclet : Qui restera toujours en 14.16, Qui enseigne et fait ressouvenir en 14.25, Qui est témoin en 15.26, Qui devient accusateur en 16.8 et qui devient maintenant un guide spirituel qui nous fera tout comprendre.

Cette réflexion de la communauté johannique sur la Sainte Trinité apporte une certaine justification, au sens actuel du terme : si Jésus s’en va, il est bon qu’il maintienne un lien avec sa communauté, et ce serait donc le rôle de cet esprit que Jean nomme « de vérité ». N’oublions pas que ce discours d’adieu se passe avant la passion et qu’un des grands thèmes de Jean est que celle-ci fait partie du projet divin. Dans son évangile, Jésus fait de nombreux et longs discours, il dit beaucoup de choses, il tente d’expliquer beaucoup de choses, il annonce aussi beaucoup de choses à l’avance. Il convient donc que le Paraclet soit présent en notre esprit pour avoir en tête les paroles de Jésus, mais aussi pour nous faire voir dans la vie postpascale ce qui avait été annoncé en avance.

Que la foi en Dieu et en Jésus demande une certaine maturation, que la réflexion spirituelle soit lente, que le Paraclet ait besoin de temps pour nous convaincre de la véracité de l’enseignement de Jésus (n’oublions pas que sa vie publique a été extrêmement courte), rien de tout cela n’est vraiment choquant.

Il y a aussi derrière ces quelques versets la réalité de la communauté johannique, on pense que cette appellation d’ « esprit de vérité » est un ajout assez tardif à l’évangile. Nous avons déjà évoqué la dérive gnostique qui perturbait cette communauté, qui sera le sujet principal des lettres de St. Jean et la raison de son extinction. Cette gnose, un terme qui signifie connaissance en grec, vient directement de la philosophie de Platon sur la distinction entre le corps (soma) et l’âme (pneuma), cette dernière étant un morceau divin vivant au sein du corps humain. Il existait un mouvement gnostique juif qui disait que l’Esprit divin proclamé par les prophètes n’était autre que la sagesse des anciens conservée par les initiés de la Kabbale et par divers mouvements ésotériques. Les gnostiques juifs proclamaient aussi que le monde corrompu n’était pas la création de Dieu mais plutôt celle de Satan. Il y a donc eu un mouvement gnostique chrétien qui a dit que le Saint-Esprit était une autre forme de cette même sagesse des anciens ; ce courant de pensée s’est bien évidemment facilement développé au sein de la communauté johannique qui a toujours privilégié la nature divine de Jésus à sa dimension humaine. Une fois Jésus parti, l’Esprit-Saint ne serait en fait que la conscience humaine en recherche de la sagesse des anciens…

On comprend mieux que le rédacteur de l’évangile de St. Jean ait ressenti le besoin d’insister sur le lien entre l’Esprit-Saint et Jésus, ainsi que sur le lien directe entre Jésus et le Père. Le Paraclet n’est pas un esprit qui se balade seul dans le cœur des hommes, il est directement lié à Dieu et à son fils, il n’est pas un savoir intemporel mais il est au contraire l’expression de la volonté de Dieu. La vérité de Jean est de reconnaître que Jésus est le fils de Dieu et non pas n’importe quel humain qui aurait un temps hébergé l’esprit de Dieu..

Bref, il s’agit en fait d’un rappel à l’ordre.